27 janvier 2021

Premier coup d’œil des employeurs sur la vaccination : obligatoire ou non en milieu de travail?

Le début de la vaccination des Canadiens contre la COVID-19 suscite sans aucun doute une importante question chez certains employeurs : dans quelle mesure peut-on imposer la vaccination aux employés dans les milieux de travail physiques au Canada? Le texte suivant donne un premier aperçu de certains points juridiques fondamentaux à ce sujet.

L’employeur peut-il instaurer unilatéralement une politique de vaccination obligatoire en milieu de travail?

En bref : oui, mais en respectant certaines limites.

Au Canada, les limites à la capacité qu’a un employeur d’imposer la vaccination obligatoire en milieu de travail au moyen d’une politique ont été déterminées en grande partie dans un cadre syndiqué, particulièrement lorsque les droits de la direction aux termes d’une convention collective ont fait l’objet d’un examen. Dans ce contexte, la jurisprudence a circonscrit la capacité d’un employeur à imposer une politique en milieu de travail en établissant que cette dernière devait être raisonnable dans les circonstances et respecter les droits négociés collectivement. Une telle politique doit notamment être :

  • conforme à la convention collective applicable;
  • raisonnable dans les circonstances;
  • claire et sans équivoque;
  • portée à l’attention des employés touchés, y compris les mesures disciplinaires en cas de non-respect; et
  • appliquée de façon systématique.

À cette fin, les employeurs qui prévoient avoir besoin éventuellement de mettre en place une politique de vaccination en milieu de travail devraient tenir compte des conseils de base suivants quant aux éléments à y inclure et à la façon de la mettre en œuvre.

Comment aborder la mise en place d’une politique de vaccination en milieu de travail?

Appuyez-vous sur des faits vérifiables et des preuves

Il importe que la politique de vaccination soit fondée sur des faits et appuyée par des preuves convaincantes. Bien entendu, un tel exercice dépendra en partie de la nature des activités de l’employeur, du niveau de risque ou de danger de transmission de même que des droits opposés et des intérêts en jeu. La collecte de renseignements pertinents et de preuves pourra servir à étayer la position de l’employeur si la politique devait être contestée.

Les arbitres en droit du travail seront réticents à faire appliquer une politique de vaccination obligatoire en milieu de travail sans preuve suffisante et convaincante qu’elle répond à un besoin légitime dans le milieu de travail et qu’elle est raisonnable dans les circonstances. Il faut se rappeler que les politiques de vaccination soulèvent fréquemment des questions plus larges de droits de la personne (jouant souvent en faveur de l’employé) et que les employeurs ont habituellement le fardeau de justifier, en s’appuyant sur des motifs de santé et sécurité, que la mise en place de la politique de vaccination est raisonnable.

Pensez à inclure une solution de rechange à la vaccination raisonnable et non disciplinaire

Au Canada, les politiques en milieu de travail d’application générale exigeant que tous les employés soient vaccinés, à défaut de quoi ils sont congédiés, ont généralement été jugées comme un emploi abusif du pouvoir de l’employeur d’établir des règles ou encore ont été déclarées contraires aux principes en matière de droit du travail.

De plus, lorsque les valeurs inhérentes à la Charte canadienne des droits et libertés de la personne (Charte) entrent en jeu, la jurisprudence a établi que consentir à un traitement médical potentiellement invasif, comme la vaccination, était une décision intrinsèquement et profondément personnelle appartenant avant tout à la personne concernée.

Les politiques de vaccination ont toutefois résisté à l’examen de leur validité en vertu de la Charte et le recours à celles-ci a été reconnu comme un emploi justifié du pouvoir de l’employeur d’établir des règles lorsqu’elles offraient aux employés une solution de rechange à la vaccination raisonnable et non disciplinaire, comme, par exemple, permettre aux employés non vaccinés de bénéficier d’un congé sans solde lorsque le risque de transmission en milieu de travail est élevé, notamment pendant les éclosions.

Il faut reconnaître que, pour le moment, les employeurs pourraient trouver difficile, voire impossible, de gérer les va-et-vient des employés non vaccinés qui partiraient ou reviendraient d’un congé sans solde au gré des éclosions en milieu de travail. Tant qu’une proportion importante de la population canadienne ne sera pas vaccinée contre la COVID-19, certains employeurs devront peut-être envisager d’autres options pour leurs employés, comme des vacances ou des congés spéciaux liés à la COVID-19 avec protection de l’emploi, adoptés dans la plupart des provinces et dans le secteur sous réglementation fédérale (tant qu’ils demeurent offerts), ou se prévaloir d’autres droits offerts aux employés. Dans certains cas, d’autres options d’accommodement, abordées ci-après, sont aussi possibles.

Envisagez des options d’accommodement

Les programmes de vaccination obligatoire au Canada ont fait l’objet de contestations fondées sur les droits et libertés individuels et fondamentaux protégés par la Charte. De plus, en vertu des lois en matière de droits de la personne, un employé qui ne peut pas être vacciné en raison d’un motif de discrimination interdit, comme l’invalidité ou la croyance, pourrait demander un accommodement.

Dans ces circonstances, certains employeurs voudront sûrement vérifier si leurs politiques prennent bien en compte leur devoir de non-discrimination et d’accommodement raisonnable envers leurs employés, par exemple en ne ciblant que les employés de première ligne ou en exigeant que les employés non vaccinés appliquent des mesures plus strictes en matière de santé et sécurité (comme le port d’un masque chirurgical ou d’un masque non médical) lorsque la situation l’exige. D’autres mesures d’accommodement possibles envers les employés non vaccinés, ou ceux devant s’acquitter d’obligations familiales et s’occuper d’enfants non vaccinés ne pouvant fréquenter l’école, seraient d’envisager et de permettre des arrangements de télétravail.

Informez les employés et pensez à une application judicieuse

Une autre des principales préoccupations d’un employeur sera de prévoir judicieusement les mesures disciplinaires qui seront imposées, le cas échéant, en cas de défaut de se conformer aux règles. Bien que les conséquences disciplinaires en cas de non-respect puissent être graves, les bons employeurs tenteront, en pratique, d’appliquer des mesures disciplinaires raisonnables selon les faits et proportionnelles à la transgression.

Avant de mettre en place une politique de vaccination obligatoire, les employeurs doivent aviser leurs employés des exigences et sanctions disciplinaires applicables en cas de non-respect. Le défaut d’agir ainsi peut entraîner des risques sérieux du point de vue juridique, dont le risque de ne pas pouvoir faire appliquer la politique.

Afin que les exigences de vaccination soient communiquées en bonne et due forme aux employés visés, les employeurs peuvent, par exemple, offrir des séances virtuelles obligatoires de formation et de questions-réponses. Dans un tel cadre, certains employeurs peuvent également prévoir des ressources additionnelles de sensibilisation à l’importance du vaccin à l’intention des employés. Ces ressources peuvent aider à réduire l’anxiété et le stress entourant la vaccination, à faire la distinction entre les mythes et la vérité et à favoriser la prise de décision éclairée du personnel.

De plus, il est important de trouver les bonnes mesures pour faire appliquer les politiques systématiquement dès leur adoption. Pour y parvenir, les employeurs veilleront notamment à ce que les ressources nécessaires soient affectées à l’application de la politique de vaccination au niveau de la direction, des ressources humaines et des autres services touchés.

À quoi les employeurs doivent-ils s’attendre?

À ce jour, les directives officielles de la santé publique ne sont pas claires quant à la mesure dans laquelle la vaccination contre la COVID-19 sera obligatoire au Canada, y compris dans les milieux de travail. Dans un rapport publié récemment, le Comité consultatif national de l’immunisation recommandait que les doses initiales de vaccins soient proposées d’abord aux populations visées au stade 1 et au stade 2, mais ne donnait pas d’orientation précise sur la façon d’agir en cas de refus de leur part.

Tandis que le caractère obligatoire de la vaccination contre la COVID-19 à l’échelle du pays demeure à préciser, il convient de noter que, dans certains territoires canadiens, les mesures législatives d’urgence permettent aux autorités publiques d’adopter, dans certaines circonstances, de vastes mesures de santé publique pouvant inclure la vaccination obligatoire.

Par exemple, en vertu de la Loi sur la santé publique du Québec, lorsque l’état d’urgence sanitaire a été déclaré, le gouvernement peut exercer une vaste gamme de pouvoirs afin d’y répondre. Ces pouvoirs comprennent celui d’ordonner la vaccination obligatoire de toute la population ou d’une partie de celle-ci contre une maladie contagieuse menaçant gravement la santé de la population, sans délai et sans formalité. De même, en vertu de la loi intitulée Public Health Act de l’Alberta, les fonctionnaires peuvent imposer l’immunisation obligatoire contre des maladies pendant une urgence sanitaire.

En outre, les gouvernements de certains territoires ont le pouvoir de rendre la vaccination contre une maladie obligatoire, peu importe qu’il y ait ou non une situation d’urgence dans le territoire. Par exemple, en Ontario, la Loi sur l’immunisation des élèves prévoit qu’un élève peut être suspendu de l’école s’il n’est pas immunisé. Cette loi prévoit aussi que, si une maladie se déclare, les enfants non vaccinés contre cette maladie pourront être exclus de l’école. D’autres provinces ou territoires du Canada, dont le Nouveau-Brunswick, disposent de lois semblables.

Alors que les provinces élaborent leur plan de vaccination de masse des Canadiens au cours de la prochaine année, de plus amples renseignements ou d’autres orientations pourraient être publiés à ce sujet. D’ici là, les employeurs devraient surveiller comment les gouvernements déploieront les vaccins et ce qu’on attend d’eux pendant cette étape.

Dans le même ordre d’idées, les employeurs qui envisagent déjà l’adoption d’une politique de vaccination seraient bien avisés de commencer par :

  • procéder à une évaluation fondée sur les faits des risques que pose le milieu de travail et de la mesure dans laquelle la vaccination peut aider à réduire ces risques;
  • étudier les solutions de rechange à la vaccination pouvant être offertes et prendre en considération toute obligation éventuelle d’accommodement;
  • penser aux façons de bien communiquer les exigences relatives à la vaccination dans le milieu de travail et les conséquences associées au défaut de se conformer à ces exigences; et
  • planifier comment l’application de la politique sera systématiquement maintenue.

Pour terminer, certains employeurs pourraient aussi étudier la possibilité de travailler avec les représentants syndicaux ou des employés en vue de faciliter la mise en œuvre d’une politique de vaccination. Il est possible que ceux-ci consentent à une certaine forme d’exigences relatives à la vaccination dans le contexte actuel de la lutte contre la COVID-19.

Auteurs :

Kevin MacNeill, Associé

Natasha Hyppolite, Avocate

Stéphane Erickson, Avocat en gestion du savoir

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