11 avril 2017

Une plainte pour discrimination fondée sur la situation familiale d’un père de famille rejetée

Le 10 janvier 2017*, la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (« Commission ») a rejeté un grief d’un officier aux réclamations (« Employé ») du ministère de la Défense nationale (« Employeur ») qui alléguait avoir été victime de discrimination sur la base de sa situation familiale, et ce, en violation de la Loi canadienne sur les droits de la personne (« LCDP ») et de la convention collective liant l’Employeur et l’Association canadienne des employés professionnels (« Syndicat »).

Résumé des faits
En janvier 2013, l’Employé a demandé à l’Employeur de déplacer ses deux (2) pauses de 15 minutes rémunérées à la fin de la journée afin de pouvoir quitter le travail 30 minutes plus tôt à titre de mesure d’accommodement en vertu de la LCDP. Il a justifié cette demande par les problèmes de santé de sa conjointe et les difficultés de langage et de développement de deux (2) de ses enfants. L’Employé a de plus expliqué qu’il avait un trajet d’une durée d’environ deux (2) heures à effectuer matin et soir entre son domicile à Deux-Montagnes et son travail à Montréal qui impliquait l’utilisation de sa voiture, du train de banlieue, du métro puis de l’autobus. Ainsi, en quittant le travail une demi-heure plus tôt l’après-midi, il pouvait aider sa conjointe à accomplir les tâches familiales.

L’Employeur a refusé sa demande sur la base que ces pauses de 15 minutes avaient été négociées avec le Syndicat pour favoriser la santé et le bien-être des employés et que, par ailleurs, cet accommodement risquait d’engager la responsabilité de l’Employeur si un accident survenait au cours de cette demi-heure payée, étant donné que l’employé était alors réputé au travail.

L’Employeur a également rencontré l’Employé pour lui offrir d’autres solutions telles que la semaine de travail comprimée, l’horaire variable, l’emploi à temps partiel, commencer et quitter plus tôt le travail, prendre sa voiture personnelle afin de diminuer le temps de voyagement et changer de garderie. Toutefois, l’Employé a refusé toutes ces options.

Le Syndicat a donc déposé un grief le 20 mars 2013 suivant lequel il alléguait que le refus de l’Employeur d’accommoder l’Employé était discriminatoire et réclamait ainsi la mesure d’accommodement recherchée et une compensation financière à titre de dédommagement pour stress indu.

En septembre 2014, malgré le dépôt du grief, l’Employeur a offert à l’Employé de déplacer sa demi-heure de repas en fin de journée afin de partir plus tôt et de combiner les deux (2) pauses de 15 minutes payées pour composer une demi-heure de dîner. L’Employé a accepté cette offre et s’est désisté de la portion « accommodement » de son grief.

La décision de la Commission
Malgré la mesure d’accommodement finalement octroyée en septembre 2015, l’Employé et son Syndicat tenaient à faire reconnaître par la Commission que l’Employé avait été victime de discrimination. Pour décider de cette question, la Commission a appliqué le critère énoncé par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Johnstone** selon lequel, pour établir la preuve prima facie d’une discrimination fondée sur la situation de famille en raison des obligations liées à la garde des enfants, une personne faisant valoir une réclamation doit démontrer ce qui suit :

  1. qu’un enfant relève de ses soins et de sa supervision;
  2. que l’obligation parentale en cause engage la responsabilité légale de la personne à l’égard de cet enfant, par opposition à un choix personnel;
  3. que la personne a fait des efforts raisonnables pour s’acquitter de cette obligation parentale au moyen de solutions de rechange raisonnables et qu’aucune solution de rechange n’est raisonnablement accessible; et
  4. que la règle en milieu de travail contestée fait obstacle de façon non négligeable et non insignifiante à l’acquittement de l’obligation parentale.

 

En l’espèce, la Commission a conclu que la situation de l’Employé n’était pas exactement un cas de garde d’enfants puisque les enfants demeuraient sous la garde de leur mère en attendant l’arrivée de leur père. C’était plutôt la situation médicale de la conjointe de l’Employé qui faisait en sorte qu’il était préférable qu’elle ait plus d’aide en fin de journée avec les enfants.

La Commission a conclu que les deuxième et troisième éléments du critère élaboré dans l’arrêt Johnstone n’étaient pas satisfaits, car l’Employé n’avait pas envisagé l’embauche d’une gardienne qui viendrait quelques heures en fin de journée et n’avait pas non plus considéré entreprendre des démarches pour trouver quelqu’un qui s’occuperait de l’enfant qui exigeait plus de soins pour des raisons développementales. Ainsi, la responsabilité légale de l’Employé envers ses enfants n’était pas en jeu et le fait de ne pas chercher une aide extérieure relevait plutôt d’un choix personnel.

La Commission a expliqué que les besoins de l’Employé étaient bien réels, « loin de la catégorie des cours de ballet ou de judo », mais que, néanmoins, l’Employeur ne pouvait avoir une responsabilité légale pour le fonctionnement de la famille.

Ainsi, le refus initial de l’Employeur n’entravait pas la capacité de l’Employé de remplir ses obligations légales à l’égard de ses enfants ou de sa conjointe et il n’y avait pas de discrimination prima facie. La Commission a ajouté que même si elle avait conclu à une discrimination prima facie, elle aurait tout de même jugé que l’Employeur avait rempli son obligation d’accommodement raisonnable.

Conclusion
Les employeurs doivent donc savoir que s’ils imposent une règle de travail qui a pour effet d’entraver de façon « non négligeable et non insignifiante » l’obligation légale d’un employé envers ses enfants, ils peuvent être tenus légalement d’accommoder cet employé. Toutefois, comme le démontre la décision de la Commission dans l’affaire Guilbault, la responsabilité de concilier le travail et la vie familiale incombe avant tout à l’employé et ce dernier doit chercher des solutions raisonnables, dans sa sphère personnelle, avant de demander une modification de ses conditions de travail à son employeur.

 

Notes:

* Guilbault c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 017 CRTEFP 1

** Le procureur général du Canada c. Fiona-Ann Johnstone et la Commission canadienne des droits de la personne (Johnstone),  [2014] FCA 110, par. 93.

 

Patrick Galizia et Geneviève Plante

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