Le 11 juin 2020, la Cour supérieure du Québec a accueilli en partie une action collective à l’encontre de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec – Construction (FTQ‑C). Cette action collective visait, à titre de membres du groupe, les travailleurs et les employeurs comptant moins de 50 salariés qui ont été privés de travail ou de salaire à la suite de débrayages illégaux survenus sur plusieurs chantiers de construction au Québec à l’automne 2011.

La Cour supérieure a conclu qu’en ne prenant pas action alors que l’industrie de la construction était paralysée, la FTQ-C a commis une faute d’omission. Elle lui a ainsi ordonné de verser une somme approximative de 9,9 millions de dollars afin de compenser notamment le salaire et le travail perdus et a ordonné le recouvrement collectif de cette somme. Elle a aussi condamné la FTQ-C à verser des dommages-intérêts pour perte de profits et coûts additionnels aux employeurs ainsi que des dommages moraux aux travailleurs et a ordonné le recouvrement individuel de ces sommes[1].

La FTQ-C a porté la décision de la Cour supérieure en appel, demandant le rejet de l’action collective ou, subsidiairement, d’ordonner le recouvrement individuel du salaire et du travail perdus et de rejeter les autres chefs de dommages compensatoires.

Ce que la Cour d’appel a décidé

Dans une décision rendue le 13 juillet 2022[2], la Cour d’appel du Québec a confirmé la conclusion de la Cour supérieure à l’effet que tout syndicat a l’obligation non seulement de prendre les mesures appropriées dans les faits pour éviter le déclenchement d’une grève illégale, mais il doit également agir le plus rapidement possible pour faire cesser celle-ci une fois qu’elle est déclenchée. 

La Cour d’appel a cependant ordonné l’indemnisation individuelle plutôt que collective de la somme approximative de 9,9 millions de dollars afin de compenser notamment le salaire et le travail perdus. Après avoir posé les principes applicables en matière de recouvrement collectif, la Cour d’appel a conclu que la FTQ-C était « responsable du salaire dont ont été privés les travailleurs qui ont été forcés de quitter les chantiers, qui se sont vu refuser l’accès aux chantiers et qui ont été privés sans droit de fournir leur prestation de travail », de même que « des dommages subis par les employeurs qui ont versé du salaire à leurs travailleurs […] sans recevoir en contrepartie la prestation de travail à laquelle ils avaient droit ». Toutefois, la FTQ-C ne pouvait être tenue à « rembourser le salaire des travailleurs qui ont participé à une grève illégale »[3].

La Cour d’appel a noté que le recouvrement collectif est inapproprié en l’espèce, car la FTQ-C possédait des moyens individuels de défense contre divers membres du groupe. Si le syndicat qui commet une faute d’omission peut avoir à dédommager les victimes quant aux conséquences résultant directement de la grève illégale, il n’a pas à indemniser les pertes salariales subies par les employés qui ont participé à la grève illégale. Dans le cadre du processus d’indemnisation, le juge de première instance devait donc scinder les travailleurs en deux groupes : ceux ayant pris part à la grève illégale et ceux n’y ayant pas participé. Le fait de tous les indemniser pour leur perte de salaire de la même manière constitue une erreur révisable.

La Cour d’appel a également noté que la preuve à l’effet que les employeurs avaient l’obligation légale de payer le salaire aux travailleurs absents et qu’ils ont effectivement procédé à ces paiements n’a pas été faite. Par conséquent, il n’est pas possible de chiffrer assez précisément le montant total qui peut être réclamé à titre de compensation pour le travail et le salaire perdus.

De plus, l’impossibilité de déterminer avec précision la proportion des chantiers affectés par les débrayages illégaux ne permet pas d’établir de manière suffisamment précise les dommages subis par les membres visés. Cette difficulté a incité la Cour d’appel à opter pour le recouvrement individuel des dommages compensatoires, incluant les montants liés aux salaires.

Enfin, la Cour d’appel a rejeté la conclusion qu’il y aurait eu un préjudice moral chez les travailleurs lésés en raison de l’absence de preuve faite à cet égard en première instance. D’ailleurs, l’absence de toute présomption de fait grave, précise et concordante permet de conclure qu’il n’existe pas de tel préjudice moral. Toutefois, la Cour d’appel a confirmé la décision du juge de première instance d’ordonner le recouvrement individuel des réclamations pour les coûts additionnels et les pertes de profits des employeurs occasionnés par la grève illégale. Puisque les employeurs ont subi des pertes de profit et des coûts additionnels à des degrés différents, il est justifié de conclure à un recouvrement individuel des sommes.  

Ce qu’il faut retenir

La Cour d’appel rappelle dans cette affaire les principes applicables quant au choix du mode de recouvrement. À cet égard, notons qu’il importe de pouvoir déterminer de manière suffisamment précise le montant total des réclamations de tous les membres d’un groupe pour se tourner vers le recouvrement collectif.

En terminant, notons que cette décision a fait l’objet d’une demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême du Canada[4]. Nous vous tiendrons informés des développements subséquents dans cette affaire, le cas échéant.


[1] Voir notre article sur le sujet : Une grève illégale qui coûte cher : la faute d’omission d’un syndicat québécois le contraint à verser 9,9 millions $ | Global Workplace Insider.

[2] FTQ-Construction c. N. Turenne Brique et pierre inc., 2022 QCCA 1014.

[3] Ibid., para. 80.

[4] Demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême, no 40385, 29 septembre 2022.