14 novembre 2016

L’estimation des frais d’exploitation : un risque à calculer

Par Miguel Manzano (Partner / Associé) et Nicolas Labrecque (Partner / Associé)

On retrouve souvent dans les offres de location ou les baux des estimations du locateur relativement aux frais d’exploitation ou aux taxes foncières. Le locateur base généralement ses estimations sur les années précédentes, ce qui est plus difficile à faire dans le cas d’un nouveau projet immobilier.
Une décision récente de la Cour supérieure1 présente une analyse intéressante de la façon d’établir un rapprochement entre les estimations contenues dans un bail et les stipulations détaillées de celui-ci prévoyant le mode de calcul des frais réels.

Estimations par rapport aux montants réels
Dans cette cause, la quote-part du locataire des taxes foncières était estimée tant dans la lettre d’entente que dans le bail à 3,00 $ le pied carré de la superficie louable des lieux loués pour la première année du bail. Le bail prévoyait également le mode de calcul de la quote-part du locataire des taxes foncières et était très détaillé à cet égard.
Il s’est avéré que le montant payable par le locataire quant à sa quote-part des taxes foncières était de 8,09 $ le pied carré pour 2010, de 11,86 $ pour 2011, de 12,34 $ pour 2012 et de 11,43 $ pour 2013. Le locataire s’est fortement opposé aux montants facturés par le locateur au titre des taxes foncières.
Les arguments du locataire étaient fondés sur le fait que i) l’entente entre les parties voulait que le locataire paie 3,00 $ le pied carré pour les taxes foncières au cours de la première année, ii) le mode de calcul de la quote-part du locataire des taxes foncières indiqué dans le bail n’était pas clair et était ambigu et iii) la discrétion absolue accordée au locateur de déterminer les parties du centre commercial devant entrer dans le calcul de la quote-part du locataire des taxes foncières était contre l’ordre public, puisqu’elle n’était pas déterminable.

Bail : les obligations du locataire sont claires
Bien que l’écart entre le montant évalué à 3,00 $ le pied carré et le montant réel de 8,09 $ le pied carré pour la première année du bail soit considérable, le juge est d’avis que l’intention des parties était que le montant de 3,00 $ le pied carré ne constitue pas un montant fixe mais une simple estimation.
Le juge s’est penché sur l’échange des différents projets de lettre d’entente et de bail afin de mieux saisir l’intention des parties à cet égard. En s’appuyant sur l’historique des négociations préalables, il conclut que l’intention des parties n’était pas que le montant de 3,00 $ le pied carré au titre des taxes foncières soit un montant fixe mais plutôt une estimation.
Le juge a ensuite analysé l’argument du locataire voulant que la superficie du centre commercial ayant réellement servi à déterminer les taxes foncières ne corresponde pas à ce qui avait été prévu et que l’ampleur de l’écart entre le montant estimé et le montant réel démontre clairement que la formule utilisée par le locateur pour calculer les taxes foncières ne correspond pas non plus à l’intention des parties.
Le juge ne souscrit pas à l’opinion du locataire et conclut que les stipulations du bail relatives à la superficie du centre commercial devant servir au calcul des taxes foncières sont claires et que le locataire ne s’est tout simplement pas attardé suffisamment aux annexes du bail dans lesquelles était décrite la superficie devant servir au calcul des taxes.
Au sujet de la discrétion du locateur de déterminer quelles parties du centre commercial devaient être prises en compte dans le calcul des taxes foncières payables par le locataire, le juge en vient à la conclusion que cette discrétion ne va pas à l’encontre du deuxième paragraphe de l’article 1373 du Code civil du Québec et que l’obligation du locataire était déterminable. Encore une fois, le juge renvoie à l’annexe du bail, laquelle décrit les parties du centre commercial devant entrer dans le calcul des taxes foncières. Une étude attentive de cette annexe aurait permis au locataire de mieux évaluer la superficie devant servir au calcul des taxes foncières.

Il est important de comprendre le mode de calcul des estimations
Les montants en cause étaient importants. Le locataire a été tenu de payer 488 994,88 $, plus les intérêts.
Il convient de retenir de ce jugement qu’un locataire ne devrait pas accepter aveuglément les estimations des frais d’exploitation ou des taxes foncières faites par le locateur et devrait s’enquérir de la formule exacte servant à établir ces estimations de sorte à comprendre complètement la base de ces calculs.
Un locataire ne doit pas se fier aux montants des estimations et penser qu’ils représentent des montants liant le locateur et, malgré qu’il soit légitime de s’attendre à ce que les frais réels puissent s’en approcher, dans la mesure où la détermination finale du mode de calcul de ces montants est clairement énoncée dans le bail, le locataire ne pourra pas prétendre que ces estimations lient le locateur. Le locataire qui souhaite vraiment limiter son obligation de payer un montant plus élevé qu’un montant donné au titre des frais d’exploitation ou des taxes foncières doit clairement l’indiquer plutôt que de s’appuyer sur une estimation.

Note
1 Iberville Developments Leasing Ltd. c Golf Town Operating, l.p. 2014 QCCS 1428.

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