15 juin 2022

Adoption de la réforme de la Charte de la langue française : principaux points à retenir

Suivant un débat médiatisé, l’Assemblée nationale du Québec a finalement adopté, le 24 mai 2022, la Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français (Projet de loi 96), une réforme majeure de la Charte de la langue française de 1977 (Charte, aussi appelée loi 101). Le Projet de loi a reçu la sanction royale le 1er juin 2022.

Le Projet de loi 96, qui vise à renforcer la prédominance et l’usage du français au Québec, impose notamment de nouvelles obligations en matière de langue au travail, du commerce et des affaires, de certains contrats et de l’affichage public.

Le Projet de loi 96 renforce également les pouvoirs de redressement de l’Office québécois de la langue française de manière à lui permettre d’imposer des amendes plus élevées, d’émettre des ordonnances en cas de manquements et de demander des injonctions pour faire retirer ou détruire des affichages ou matériels publicitaires non conformes1. Le  Projet de loi 96 entrera progressivement en vigueur au cours des trois prochaines années.

Voici un résumé des principaux points à retenir en ce qui a trait aux changements à venir afin de vous préparer à l’entrée en vigueur graduelle du Projet de loi 96.

Le français comme langue de la justice

Actes de procédure en français

Une traduction en français certifiée par un traducteur agréé doit être jointe à tout acte de procédure rédigé en anglais émanant d’une personne morale. La personne morale assume les frais de la traduction. L’acte de procédure auquel n’est pas joint une traduction certifiée par un traducteur agréé ne peut être déposé au greffe d’un tribunal ou au secrétariat d’un organisme de l’Administration qui exerce une fonction juridictionnelle ou au sein duquel une personne nommée par le gouvernement ou par un ministre exerce une telle fonction. Le greffier ou le secrétaire avise sans délai la personne morale concernée du motif pour lequel l’acte de procédure ne peut être déposé.

Important : Cette obligation prendra effet le 1er septembre 2022.

Le français comme langue du travail

Important : À moins d’indication contraire, les changements qui suivent ont pris effet le 1er juin 2022.

Communications écrites avec ses employés, politiques et contrats de travail

Règle d’or : l’employeur devra respecter le droit de ses employés d’exercer leurs activités en français, ce qui impliquera, entre autres, d’utiliser cette langue dans ses communications écrites avec eux.

Il devra donc s’assurer que les offres d’emploi, de mutation ou de promotion sont diffusées en français et que les formulaires de demande d’emploi, les documents ayant trait aux conditions de travail et les documents de formation produits pour le personnel sont aussi rédigés en français.  

Notons que ces documents pourront également être disponibles dans une langue autre que le français2.

Bien que les contrats individuels de travail devront être rédigés en français, il sera possible de les rédiger exclusivement dans une autre langue si telle est la volonté expresse des parties. 

Notons toutefois que les parties à un contrat de travail qui est un contrat d’adhésion3 pourront être liées par une version dans une autre langue que si, après avoir pris connaissance de la version française, telle est leur volonté expresse.

Toutes les communications écrites destinées au personnel, à une association de travailleurs et à un travailleur particulier devront être en français.

L’employeur pourra toutefois communiquer par écrit avec un travailleur exclusivement dans une langue autre que le français si ce dernier en fait la demande.

Connaissance d’une langue autre que le français

Un employeur ne pourra pas prendre de mesures contre un travailleur parce qu’il n’a pas un niveau de connaissance spécifique d’une langue autre que le français alors que l’accomplissement de ses tâches ne le nécessite pas

L’employeur qui impose telle exigence aura le fardeau de démontrer que les tâches nécessitent la connaissance d’une autre langue et qu’il a préalablement pris tous les moyens raisonnables pour éviter une telle exigence.

L’employeur devra donc i) avoir évalué les besoins linguistiques réels pour l’accomplissement des tâches, ii) s’être assuré que les connaissances linguistiques des autres travailleurs étaient insuffisantes pour l’accomplissement des tâches et(iii) avoir restreint le plus possible le nombre de postes avec des tâches nécessitant la connaissance ou un niveau de connaissance spécifique autre que le français.

Programme et certificat de francisation – 25 employés et plus

Une entreprise qui emploie 25 personnes et plus sur une période de six mois devra s’inscrire auprès de l’Office québécois de la langue française (OQLF). 

Important : Cette obligation prendra effet le 1er juin 2025.

L’entreprise aura alors trois mois pour transmettre une analyse de sa situation linguistique. 

Au terme de son analyse de la situation linguistique de l’entreprise, l’OQLF pourra alors i) émettre un certificat de francisation ou ii) demander à ce qu’un programme de francisation soit implanté si l’utilisation du français n’est pas généralisée à tous les niveaux de l’entreprise.

La mise en place d’un comité de francisation pour les entreprises de 100 employés et plus demeure. Ce comité se voit par ailleurs conférer certaines responsabilités accrues.

À l’avenir, les hauts dirigeants et les autres dirigeants devront avoir une « bonne connaissance » du français. En effet, ce critère sera pris en compte afin de déterminer si l’utilisation du français est généralisée à tous les niveaux de l’entreprise.

Prévenir et faire cesser le harcèlement

Un employeur devra prendre les moyens raisonnables pour prévenir et faire cesser, lorsque porté à sa connaissance, la discrimination ou le harcèlement en raison du fait qu’un travailleur ne maîtrise pas une langue autre que le français ou parce qu’il exige le respect de ses droits de travailler en français.

Processus de plaintes

En cas de pratique interdite, les travailleurs pourront faire valoir leurs droits en déposant une plainte auprès de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST). Si la plainte n’est pas réglée auprès de la CNESST, elle sera déférée au Tribunal administratif du travail.

En milieu syndiqué, le travailleur devra toutefois avoir recours à la procédure d’arbitrage prévue à la convention collective.

Le français comme langue du travail et des affaires

Confirmation du français comme langue d’interaction avec les consommateurs

Le Projet de loi 96 exige que l’entreprise qui offre au consommateur des biens ou des services respecte son droit d’être informé et servi en français. Par ailleurs, l’entreprise qui offre à un public autre que des consommateurs des biens et des services doit aussi l’informer et le servir en français.

Emballages contenant des inscriptions rédigées dans une langue autre que le français

Sous le régime actuel, un produit, son contenant ou son emballage, ainsi qu’un document ou objet accompagnant ce produit (p. ex. un mode d’emploi), peuvent contenir des inscriptions dans une langue autre que le français tant que ces inscriptions ne l’emportent pas sur celles rédigées en français. En plus de l’exigence actuelle, le Projet de loi 96 ajoute que toute inscription rédigée dans une langue autre que le français ne pourra être « accessible dans des conditions plus favorables » que celle rédigée en français.

Resserrement de l’exception relative aux marques de commerce reconnues sur les emballages

Le Projet de loi 96 resserre considérablement la portée de l’exception en matière d’usage de marque de commerce dans une autre langue que le français sur les produits et emballages : sous le régime actuel, une marque de commerce reconnue (qu’elle soit enregistrée ou non) peut figurer sur un produit uniquement dans une langue autre que le français s’il n’y a pas de version française enregistrée de la même marque. Le Projet de loi 96 limite cette exception aux marques de commerce enregistrées seulement. Par ailleurs, si la marque en version anglaise comprend des éléments génériques ou qu’un descriptif du produit est compris dans cette marque, celui-ci devra figurer aussi en français sur le produit ou sur un support qui s’y rattache de manière permanente.

Il importe de passer votre portefeuille de marques en revue pour vous assurer d’être titulaire des enregistrements pertinents. Nous vous recommandons aussi d’examiner vos emballages afin de garantir le respect de cette nouvelle exigence. 

Important : Cette obligation prendra effet le 1er juin 2025.

Usage du français dans les communications commerciales

Quel qu’en soit le support, les catalogues, les brochures, les dépliants, les annuaires commerciaux, les bons de commande et tout autre document de même nature qui sont disponibles au public doivent être rédigés en français. Une entreprise ne peut par ailleurs rendre un tel document disponible au public dans une autre langue que le français à moins que sa version française soit accessible dans des conditions au moins aussi favorables.

Usage du français dans les contrats d’adhésion

Sous le régime actuel, les contrats d’adhésion (c.-à-d. les contrats en vertu desquels une partie impose à l'autre une série de clauses non négociables), les contrats où figurent des clauses types imprimées ainsi que les documents qui s’y rattachent doivent être rédigés en français, mais peuvent être rédigés en anglais, ou dans une autre langue, si telle est la volonté expresse des parties. Au Québec, plusieurs contrats rédigés en anglais comportent d’ailleurs une clause selon laquelle « le présent contrat est rédigé en anglais à la demande des parties ». 

Le Projet de loi 96 resserre davantage les exigences en matière d’utilisation du français dans les contrats d’adhésion : les parties à un tel contrat peuvent être liées seulement par sa version dans une autre langue que le français si, après que sa version française a été remise à l’adhérent, telle est leur volonté expresse. Les documents se rattachant au contrat peuvent alors aussi être rédigés exclusivement dans cette autre langue. De manière concrète, la partie qui impose un contenu contractuel à l’autre partie devra permettre à cette dernière de consulter la version française du contrat avant que les parties ne s’engagent à être liées par la version anglaise ou encore proposer une version bilingue des contrats d’adhésion qu’elle utilise. 

Certaines exceptions à cette règle sont prévues par le Projet de loi 96, notamment quant aux contrats utilisés dans les relations avec l'extérieur du Québec. De plus, la nouvelle disposition ne vise que les contrats d'adhésion, et non les contrats conclus de gré à gré comportant des clauses types. 

Les entreprises devraient passer en revue leurs principaux contrats et déterminer lesquels sont susceptibles de constituer des contrats d'adhésion. Si ce n’est déjà fait, une version française de ces contrats et des documents qui s’y rattachent devrait être rédigée afin d'être remise à la partie adhérente.

Important : Cette obligation prendra effet le 1er juin 2023.

Usage du français dans les contrats immobiliers résidentiels

Le Projet de loi 96 ajoute aussi des dispositions relatives aux contrats immobiliers résidentiels (incluant les promesses d’achat), lesquels doivent être rédigés en français. Ces contrats peuvent cependant être rédigés exclusivement dans une autre langue que le français à la volonté expresse des parties.

Important : Cette obligation a pris effet le 1er juin 2022.

Resserrement de l’exception relative aux marques de commerce reconnues dans l’affichage public et la publicité commerciale

Actuellement, sauf exception, l'affichage public sous toutes ses formes doit se faire en français ou, si une autre langue est utilisée, de manière à ce que le français soit nettement prédominant. Sous le régime actuel, cette obligation est moindre dans le cas où une marque de commerce reconnue est utilisée : il est alors permis que la marque soit affichée dans une autre langue que le français (s’il n’y a pas de version française enregistrée de la même marque), dans la mesure où le français maintient une présence suffisante.

À la suite de la mise en œuvre des dispositions pertinentes du Projet de loi 96, une marque de commerce pourra figurer uniquement dans une langue autre que le français si elle est enregistrée et qu’il n’y a aucune version française enregistrée. Il importe par ailleurs de noter que, sous réserve de cette exception, pour tout affichage public visible depuis l’extérieur d’un local, le français devra figurer de façon nettement prédominante (c.-à-d. être au moins deux fois plus grand).

Important : Cette obligation prendra effet le 1er juin 2025.

Prédominance du français dans l’affichage public des noms d’entreprise

Sur tout affichage public visible depuis l’extérieur d’un local du nom d’une entreprise qui comporte une expression tirée d’une langue autre que le français, le français doit figurer de façon « nettement prédominante » sur cet affichage (c.-à-d. être au moins deux fois plus grand).

Nous vous recommandons de dresser un inventaire de vos marques de commerce qui figurent sur vos panneaux publics extérieurs et intérieurs ou publicités commerciales uniquement dans une langue autre que le français.

Important : Cette obligation prendra effet le 1er juin 2025.

Sanctions et dispositions pénales

Dénonciations anonymes de manquements 

Le Projet de loi 96 permet à toute personne de communiquer de façon anonyme à l’OQLF des renseignements pouvant démontrer qu’un manquement à la Charte a été commis ou est sur le point de l’être. Une telle dénonciation pourra se faire même si la personne qui dénonce est soumise à des restrictions de communication en vertu d’un contrat ou d’une obligation de loyauté ou de confidentialité. Certaines exceptions s’appliquent. Une personne morale qui exerce des représailles contre une personne qui fait une dénonciation de bonne foi sera passible d’une amende de 10 000 $ à 250 000 $. 

Octroi de nouveaux pouvoirs de l’OQLF

Le Projet de loi 96 précise la portée du pouvoir des inspecteurs de l’OQLF d’accéder aux données contenues dans des appareils électroniques et systèmes informatiques auxquels ont accès les personnes présentes sur les lieux lors d’une inspection.

Sous le régime actuel, l’OQLF émet des mises en demeures exigeant qu’un contrevenant se conforme dans un délai donné, faute de quoi l’OQLF défère le dossier au directeur des poursuites criminelles et pénales. Dorénavant, après un préavis écrit d’au moins 15 jours, l’OQLF pourra émettre des ordonnances, y compris à l’égard de distributeurs ou de détaillants vendant des produits dont l’emballage, le mode d’emploi ou le certificat de garantie ne sont pas conformes. Ces ordonnances devront être contestées devant le Tribunal administratif du Québec dans les 30 jours suivant leur notification.

L’OQLF pourra demander à la Cour supérieure de prononcer une injonction pour que soit enlevé ou détruit tout matériel publicitaire non conforme. Une telle ordonnance pourra être prononcée à l’encontre du propriétaire du matériel publicitaire ou de quiconque l’a placé ou fait placer.

Augmentation du montant des amendes 

Le Projet de loi 96 double le montant minimal d’amende pour toute déclaration trompeuse à l’OQLF ou toute contravention à une ordonnance de l’OQLF, ainsi que lorsqu’une infraction est commise par un administrateur ou dirigeant d’une personne morale. Il prévoit aussi qu’à moins d’avoir fait preuve de diligence raisonnable, les administrateurs d’une personne morale seront présumés avoir commis une infraction commise par cette personne morale. 

 

Notes

1   Projet de loi 96, art. 113 (modifiant art. 184).

2   Leur version française devra toutefois être accessible dans des conditions au moins aussi favorables.

3   Aux termes du Code civil du Québec, le contrat est d’adhésion lorsque les stipulations essentielles qu’il comporte ont été imposées par l’une des parties ou rédigées par elle, pour son compte ou suivant ses instructions, et qu’elles ne pouvaient être librement discutées.

 

Auteurs : Emmanuelle Boilard, Catherine Daigle, Dominic Dupoy, Caroline Jodoin, Fortunat Nadima Nadima et Sandrine Raquepas

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