20 juin 2018

Les tarifs douaniers font mal à l’industrie aérospatiale

Aéro Montréal a envoyé, le 15 juin dernier, une lettre

Ces derniers jours, les tarifs douaniers sur l’aluminium et l’acier annoncés par les gouvernements américain et canadien (aux taux respectifs de 10 pour cent et 25 pour cent) ont retenu toute notre attention. Pour soutenir nos PME qui seront les premières impactées par des contre-mesures imposées par le gouvernement canadien sur l’acier et l’aluminium, nous avons répondu à l’invitation du ministre des Finances du Canada qui sollicitait notre opinion :

 

Monsieur le Ministre,

Aéro Montréal, la grappe aérospatiale du Québec souhaite répondre à votre invitation à commenter l’intention d’imposer des contre-mesures envers les États-Unis sur des importations d’acier, d’aluminium et d’autres produits, en réponse à l’imposition de tarifs sur les produits canadiens d’acier et d’aluminium.

Créée en 2006, Aéro Montréal est un forum stratégique de concertation qui réunit l’ensemble des premiers dirigeants du secteur aérospatial québécois issus de l’industrie, des institutions d’enseignement, des centres de recherche et incluant les associations et les syndicats.

Avant de détailler la liste des pièces que l’industrie veut voir exempter, il nous semble important de préciser que toute l’industrie aérospatiale sera énormément touchée par l’imposition de tarifs douaniers. Notre écosystème fonctionne sur une base internationale. Les chaînes d’approvisionnement étant extrêmement complexes et intégrées, un composant d’avion peut traverser à plusieurs reprises les frontières, notamment celles avec les États-Unis. Les entreprises aérospatiales seront donc doublement touchées, à la fois par les tarifs américains et ceux du Canada. Les impacts, qui se chiffrent à plusieurs millions de dollars, sont directs et indirects.

Toute augmentation de tarif ajoute de la pression sur l’industrie et a des effets négatifs des deux côtés de la frontière. L’industrie aérospatiale québécoise exporte environ 80 % de sa production. En imposant des barrières tarifaires sur l’aluminium notamment, les gouvernements pénalisent leurs propres entreprises en faisant augmenter les coûts de ce métal qui constitue parfois jusqu’à 80 % du poids d’un aéronef. Selon la firme d’experts Harbor Aluminum (http://harboraluminum.com), on évalue entre 45 000 et 90 000 le nombre d’emplois directs et indirects pouvant être affectés par ces mesures. Si les entreprises aérospatiales canadiennes désirent légitimement maintenir leur marge bénéficiaire, des milliers d’emplois risquent d’être perdus.

Plusieurs grandes entreprises et PME consultées estiment que les tarifs canadiens auront des impacts négatifs importants, parfois insoupçonnés : 

  • Le Canada ne produisant pas d’aluminium de qualité aéronautique (aerospace grade aluminum rolled and flat products—plates and sheets), l’approvisionnement doit impérativement se faire sur des marchés étrangers.
  • Pour des raisons de propriété intellectuelle, de design, de certification coûteuse et complexe, et à cause du temps de cycle des produits de l’industrie (plusieurs décennies), les entreprises aéronautiques, incluant les grands donneurs d’ordre, n’ont souvent pas le choix de leurs fournisseurs et ne peuvent généralement en changer.
  • La plupart des entreprises aérospatiales fonctionnent maintenant en mode « juste-à-temps ». Nous nous attendons à ce que ces mesures causent des perturbations dans les flux transfrontaliers, forçant ainsi les entreprises à maintenir des inventaires, occasionnant des coûts supplémentaires. Cela est particulièrement vrai dans le cas de pièces d’acier ou d’aluminium qui ne sont pas sur la liste des exemptions.
  • Ces tarifs peuvent aboutir en perte d’emplois ou en délocalisation d’entreprises. Certaines des entreprises consultées qui avaient des plans d’expansion importants dans leur carton songent maintenant à s’installer aux États-Unis. On parle donc de fuite de cerveaux et de capitaux.
  • La structure contractuelle de l’industrie aéronautique ne permet pas de flexibilité pour absorber une fluctuation majeure, ou même mineure, du coût des produits et matières premières. Cela cause une érosion des marges bénéficiaires, pouvant aller jusqu’à la création de détresse financière, en particulier pour les PME.
  • Les mesures annoncées par le gouvernement canadien accélèrent la perte de compétitivité des entreprises canadiennes sur la scène internationale.

 

Ce que souhaite l’industrie aérospatiale

Idéalement, nous souhaiterions que les pièces et matériaux utilisés par l’industrie aérospatiale soient exemptés de ces tarifs. Compte tenu de l’importance de l’industrie aérospatiale au Québec et dans la région de Montréal en particulier, une telle exemption permettrait aux PME de traverser la tempête. Si, au fil du temps, des exemptions non prévues s’avéraient nécessaires, un mécanisme permettant de faire une telle demande devrait être mis en place. Celui-ci devra être efficient et rapide. 

Dans le cas où l’exemption était impossible, des compensations sont, dans bien des cas, espérées et attendues. Les pertes que devront assumer les industries seront importantes. Dans plusieurs cas, ces pertes sont l’équivalent de leur marge bénéficiaire. De plus, nous estimons que les sommes amassées par ces contre-mesures canadiennes devraient être consacrées à la compensation des entreprises.

Il est clair toutefois que cette solution n’est que du court terme. Aéro Montréal et toute l’industrie souhaitent que cette guerre commerciale soit résolue le plus rapidement possible et que les marchés demeurent ouverts. Aéro Montréal croit que le gouvernement fédéral devrait plutôt envisager d’autres types de mesures pour faire connaître son mécontentement au gouvernement américain. Ainsi, Montréal pourra continuer à être une plaque tournante mondiale de l’aérospatiale, avec toutes les retombées positives que cela implique pour les Canadiennes et les Canadiens.

 

Je vous prie de croire, monsieur le Ministre, en l’expression de mes meilleurs sentiments

 

La présidente-directrice générale,

Suzanne M. Benoît

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