7 février 2017

Signé, scellé et posté : Ce que la signature de l’AECG signifie pour le commerce transatlantique

En octobre dernier , les leaders canadiens et européens ont signé l’Accord économique et commercial global (AECG ou Accord) après qu’un marché de dernière minute a été conclu pour apaiser les dissidents – pour le moment du moins – dans la région belge de la Wallonie. La signature de l’AECG ouvre la voie de la ratification tant au Canada qu’en UE, un processus susceptible de comporter ses propres obstacles, particulièrement en Europe, où la ratification est requise de la part de chaque État membre de l’UE pour les aspects de l’AECG qui touchent la compétence nationale. Néanmoins, avec la possibilité d’appliquer provisoirement des aspects de l’AECG régis par la Commission européenne (CE) avant la ratification complète, et ce, dès 2017, les sociétés devraient commencer à réfléchir à la manière dont elles peuvent utiliser les dispositions de l’Accord en matière d’élimination des tarifs, d’approvisionnement, de libéralisation des services ainsi que d’autres dispositions novatrices à leur avantage.
________________________________________
La voie périlleuse vers la signature

Le 30 octobre 2016, le premier ministre canadien, Justin Trudeau, avec le président du Conseil Européen, Donald Tusk, et le président de la CE, Jean-Claude Juncker, ont signé l’entente commerciale historique de l’AECG lors du Sommet UE-Canada à Bruxelles. Cependant, la route vers la signature n’a guère été facile.

Après l’épisode du vote Brexit l’été dernier, le président Juncker a informé les leaders de l’UE que la CE prévoyait donner effet à l’AECG sans que les pays membres individuels ratifient l’Accord, ce qu’elle pouvait faire si l’AECG visait uniquement des questions relevant de la compétence exclusive de la CE – un point soulevant des débats importants. Le 5 juillet 2016, la CE a changé de cap et a présenté une proposition au Conseil de l’UE voulant que l’Accord soit présenté comme un accord « mixte » nécessitant la ratification par tous les États membres de l’UE, mais que l’Accord soit appliqué à titre provisoire dans l’attente de son entrée en vigueur pleine et entière1.

La CE a ensuite officiellement renvoyé l’AECG devant le Conseil de l’UE assorti d’une proposition visant son approbation et sa signature, qui devaient avoir lieu au cours du Sommet Canada-UE cet automne.

Toutefois, à l’approche du Sommet Canada-UE, le parlement régional de la Wallonie, région de la Belgique, a adopté une résolution rejetant la signature de l’AECG en raison de préoccupations concernant le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États (RDIE) de l’Accord, ainsi que de craintes que l’AECG menace les normes en matière de protection du consommateur, d’environnement et de travail. Cette résolution a empêché la Belgique d’approuver l’Accord, ce qui, à son tour, a compromis l’approbation unanime des États membres de l’UE requise pour la mise en application par la CE.

Le 27 octobre 2016 (date de signature initialement prévue de l’AECG), le gouvernement belge a annoncé qu’il était parvenu à une entente avec la Wallonie lui permettant d’approuver la signature de l’AECG. Cependant, les mesures adoptées pour obtenir l’approbation de la Wallonie pourraient un jour entraîner d’autres conséquences pour l’AECG. L’entente avec la Wallonie prévoit que la Belgique demandera à la Cour de justice européenne d’établir si le mécanisme de RDIE est compatible avec les traités de l’UE. Elle stipule également que le mécanisme de RDIE ne sera pas appliqué à titre provisoire dans l’attente de la ratification par tous les États membres et souligne que les parties peuvent mettre fin à l’application provisoire aux termes de l’Accord. De manière cruciale, la déclaration belge indique que plusieurs régions, dont la Wallonie, n’ont pas l’intention de ratifier l’AECG avec les dispositions en matière de RDIE du chapitre 8 dans leur état actuel au moment de la signature.

Le Canada et l’UE se sont également entendus sur le texte d’un instrument interprétatif commun, qui vise à avoir valeur juridique et à fournir une interprétation contraignante des modalités de l’AECG sur des questions précises2. L’instrument interprétatif commun aborde plusieurs des éléments litigieux de l’Accord et visait sans doute, au moins partiellement, à prendre en considération les préoccupations de la Wallonie. Entre autres, l’instrument interprétatif commun :

  • précise que l’AECG préserve la faculté des parties de réglementer l’activité économique dans l’intérêt public;
  • précise que les parties continueront d’avoir la faculté d’atteindre des objectifs de politique publique légitimes (comme la santé publique, les services sociaux, l’éducation publique, la sécurité, l’environnement, la moralité publique, la protection de la vie privée et des renseignements, et la promotion et la protection de la diversité culturelle) et indique que l’AECG n’abaissera pas les normes et les règlements se rapportant à la salubrité des aliments, à la sécurité des produits, à la protection des consommateurs, à la santé, à l’environnement ou à la protection des travailleurs;
  • précise que la coopération en matière de réglementation est volontaire;
  • confirme la faculté des entités contractantes de recourir à des critères environnementaux, sociaux et relatifs au travail dans le cadre d’appels d’offres;
  • reconnaît expressément le droit des parties de définir leurs propres priorités environnementales et d’établir leurs propres niveaux de protection de l’environnement; et
  • en ce qui a trait à la protection des investissements : précise que l’AECG ne conduira pas à accorder un traitement plus favorable aux investisseurs étrangers qu’aux investisseurs nationaux; confirme qu’en vertu de l’AECG, les sociétés doivent avoir un véritable lien économique avec les économies du Canada ou de l’UE pour pouvoir bénéficier de l’Accord et que les sociétés écran ou boîte aux lettres établies au Canada ou dans l’UE par des investisseurs d’autres pays ne peuvent introduire de recours contre le Canada ou l’UE et ses États membres; et indique que les parties ont convenu de lancer d’autres travaux sur un code de conduite visant à garantir l’impartialité des membres des tribunaux3.

 

Avec l’accord de la Belgique durement acquis, le Conseil européen a officiellement recommandé, le 28 octobre 2016, que l’ AECG soit signé.

Prochaines étapes

Bien que l’entrée en vigueur pleine et entière puisse prendre plusieurs années et continuer de faire face à plusieurs obstacles, dont les élections prochaines en Allemagne et en France, les sociétés pourraient être en bonne position pour tirer profit de certains éléments de l’AECG d’ici le début de 2017, où l’application provisoire de l’Accord est prévue.

Après la signature de l’Accord, le gouvernement du Canada a agi rapidement en introduisant une législation de mise en œuvre à la Chambre des communes dès le lendemain (le 31 octobre 2016) afin de ratifier l’Accord au Canada. En Europe, le Parlement européen votera à l’égard de la ratification de l’AECG. Après l’approbation de l’UE, mais avant que les parlements nationaux des États membres de l’UE ne votent chacun à l’égard de la ratification, des parties de l’Accord devraient être appliquées de manière provisoire. Les articles de l’AECG qui seront appliqués à titre provisoire sont ceux qui relèvent de la compétence exclusive de l’UE.

De manière globale, l’entente devrait être appliquée à titre provisoire à 90 pour cent, ce qui devrait avoir lieu au début de 2017. Les articles de l’Accord qui ne feront pas l’objet de l’application provisoire comprennent la plupart des dispositions en matière d’investissement du chapitre 8 et certaines dispositions du chapitre 13 (Services financiers) dans la mesure où elles concernent des investissements de portefeuille, la protection des investissements ou la résolution des différends relatifs aux investissements survenant entre investisseurs et États4.

Conclusion

Bien que des obstacles à l’entrée en vigueur pleine et entière subsistent, la signature de l’AECG constitue néanmoins un moment important pour le commerce transatlantique. La signature de l’AECG ouvre la porte à l’application provisoire d’environ 90 pour cent de l’Accord au début de 2017. Les sociétés devraient prendre des mesures dès maintenant pour être en position, dans les mois à venir, de tirer profit du cadre exhaustif d’élimination des tarifs, des dispositions ambitieuses en matière d’approvisionnement et de l’élimination des barrières non tarifaires de l’AECG

Footnotes
1 Commission européenne, La Commission européenne propose la signature et la conclusion d’un accord commercial entre l’UE et le Canada; voir également European Commission presents CETA proposal in the wake of Brexit (en anglais seulement).

2 Conseil européen, Accord commercial UE-Canada: le Conseil adopte la décision de signer l'AECG.

3 Instrument interprétatif commun concernant l'accord économique et commercial global (AECG) entre le Canada, d'une part, et l'Union européenne et ses États membres, d'autre part.

4 Décision du Conseil relative à l'application provisoire de l'AECG.

 

Auteurs : Erin Brown (Avocate salariée / Associate) / Nicolas Labrecque (Associé / Partner)

Les dernières nouvelles

  • Le poste d’inspectrice en 5 questions avec Mélanie Mireault
    26 mars 2023

    Le poste d’inspectrice en 5 questions avec Mélanie Mireault

    10 ans dans l’industrie aérospatiale, à la découverte d’une passionnée...

    En savoir plus